La fin de l'innocence

11 septembre 2001. La fin d'une époque, la fin de l'innocence.


Tout le monde vous dira qu'il s'en rappelle comme hier, moi y compris. Je venais de terminer le mandat de rédacteur en chef de La Gifle, le journal étudiant de l'Association générale des étudiant(e)s du Cégep de Trois-Rivières. Ça faisait quelques années que j'écrivais une chronique qui s'appelait «Les 10 faits inutiles de la semaine» et elle avait une bonne popularité,  j'avais passé une année extraordinaire à avoir un record de distribution du journal, des élèves du Laflèche faisaient un détour pour venir le chercher. Ma carrière de clown sérieux était en train de se dessiner mais à ce moment là, je ne le sais pas encore.


Mardi matin, environ 9h30.  Je sors du pavillon des Sciences du Cégep de Trois-Rivières, je suis au coin Marguerite-Bourgeoys et Papineau. Mon cellulaire sonne, un Nokia 5120 avec un faceplate vert luisant et une antenne qui flashe en rouge. C'est mon amie Marie-Josée qui m'appelle. 

«As-tu vu ça? Attaque terroriste, New York, tours jumelles, fumée, etc.»

Le cœur m'arrête. Avoir su ce qu'est l'angoisse, j'aurais compris que c'était ce qui m'envahissait sauf qu'à cette époque, on ne parlait pas de santé mentale. 100 000 choses me passent par la tête, toutes aussi épeurantes les unes que les autres mais je n'aurai pas le temps de m'apitoyer longtemps. J'appelle Michael, le nouveau rédac' chef. Ou il m'appelle, je ne sais plus trop. Je ne me rappelle plus de détails ou de qui est arrivé avec quoi dans quel ordre mais la conversation a eu cette tournure:

« On fait quoi? Le journal est sorti hier, ça prend une semaine en monter un, une fin de semaine complète pour le faire imprimer/monter, on est mardi, si on attend à lundi prochain, on manque le bateau! »
«ÉDITION SPÉCIALE»
«J'veux ben mais tout le monde est en classe, on n'a pas vraiment de journalistes pis on n'a rien pour imprimer ça»

C'est ce jour que j'ai compris que mon besoin d'informer est plus grand que mon besoin de Philo 3

«Je débooke le reste de ma journée. Es-tu game toi aussi? On fait un recto-verso, on the fly, on le fait imprimer ici en quelques centaines de copies à l'imprimerie du coin sur une feuille 8.5X11 jaune et on y met tout ce qu'on sait.»

C'est ainsi qu'après un bon 3 ans de chronique humoristique légère, j'ai tenté ma main sur le journalisme sérieux. On avait les infos qu'on avait, on était tributaires d'un internet et d'un CNN de base mais on a malgré tout réussi à informer la population étudiante en un temps record.  On était par contre très loin de se douter de toute l'horreur et des ramifications que cet événement historique aurait dans notre vie.


Je repense souvent à ce jour de presque automne, à l'impact, aux images, aux victimes, aux pertes de liberté, au début de la peur du fait musulman, à l'ambiance de crainte généralisée qui s'est installée sur la société occidentale. Le 11 septembre 2001 est un point tournant majeur dans l'histoire de la planète et pas pour le mieux. On a collectivement et abruptement découvert la laideur du Monde. 20 ans plus tard, on a les réponses mais on a ironiquement encore plus de questions; des questions qui sont venues après qu'on connaisse les réponses. 

20 ans. 20 ans à essayer de redresser une société afghane qui n'a pas voulu qu'on l'aide au final. 20 ans à marteler que ce qu'une poignée d'extrémistes fait ne représente pas l'entièreté des adhérents d'une religion. 20 ans à constater que la méfiance l'a emporté sur la bonté autant dans les relations interpersonnelles que dans la législation. 20 ans à être des milliards à subir les contrecoups de quelques milliers de morts planifiés par quelques centaines de fanatiques, causés par quelques dizaines de suicidaires.

Souvenons-nous. Souvenons-nous toujours que l'Homme est bon. Souvenons-nous que la majorité n'a jamais à craindre une minorité. Souvenons-nous que la peur est une crisse de mauvaise conseillère. Souvenons-nous que l'amour, crisse. Souvenons-nous que le feu par le feu est rarement la bonne réponse. Mais surtout, souvenons-nous des 2958 victimes directes, des milliers de victimes indirectes et des millions de victimes collatérales. 


«Imagine there's no country

It isn't hard to do

Nothing to kill or die for

And no religion too

Imagine all the people

Living life in peace»

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