Lettre à mes enfants

Dans la foulée du drame de l'alerte AMBER à St-Apollinaire, voici une transcription de la lettre que j'ai lue dimanche matin au FM93. 

Cette lettre vient avec un préambule:
J’ai pas envie de parler de ça ce matin. Depuis hier, l’équipe se demande comment traiter de ça et on ne voulait pas de professionnel pour en parler froidement mais je sais aussi qu’on ne peut pas ne pas aborder le sujet. On est des courroies de transmission de l’information et au 93, on fait aussi de l’opinion, apparemment. 

J’ai pensé à revirer de bord et ne pas lire ce que j’ai écrit hier pour le show mais ce matin, j’ai décidé de me lancer. Avant que je lise ce qui va suivre, vous devez savoir 2-3 affaires si vous ne me connaissez pas. Sachez que j’ai une grande fille qui appartient à ma blonde, ça venait avec elle quand je l’ai rencontrée et depuis, c’est la 2e prunelle de mes yeux, c’est moi qui joue le rôle de père. Je suis officiellement devenu papa à 37 ans, quand mon plus jeune est né il y a 4 ans. 

J’ai décidé de lire ce qui va suivre parce que malgré ma réticence à parler de la situation précise, tout m’interpelle : l’âge des enfants impliqués, la problématique de santé mentale, les histoires de partage des enfants après une séparation… J’ai aussi décidé de lire ce qui va suivre parce que j’ai l’incroyable coïncidence ET privilège d’être en ondes (j’allais dire chance mais c’est pas chanceux de vivre ça) au moment où cette tragédie se déroule. 

Assez de fla fla, on commence. 

Lettre à Pinotte ma grande de presque 11 ans
Lettre au Petit Prince, mon grand garçon de 4 ans. 

Il n’y a pas de mots faciles pour commencer une lettre comme celle-ci. La nouvelle est encore fraîche, les émotions sont encore à fleur de peau et l’incompréhension est encore à son plus haut. Au moment où j’écris ces mots, on a retrouvé deux petits anges qui se sont envolés vers le ciel et on n’a toujours pas mis la main au collet de celui qui pensait qu’elles seraient mieux au ciel qu’ici. Dans les prochaines heures, les prochains jours, plein de gens auront plein d’opinions pour expliquer ce qui s’est passé et on finira par savoir tous les détails. On saura éventuellement si c’est un triangle amoureux, une dépression, de la maladie mentale, une annonce de rupture ou autre chose qui aura poussé un père à commettre un geste impardonnable, celui de décider que ses propres enfants devaient partir pour toujours. 

Vous le savez parce que vous l’avez déjà vu, un papa et une maman peuvent se chicaner une fois de temps en temps. Des fois, ça dure 5 minutes. Des fois ça dure 5 heures. Des fois, ça dure 5 jours. Des fois, les parents peuvent se chicaner tellement fort que l’un des deux peut dire des choses qu’il ne pense pas, qu’il regrette. Ou des choses qu’il pense mais n’a jamais osé dire. Des fois, un parent peut vouloir faire très mal à l’autre pour se venger. Des fois, un parent peut avoir tellement mal qu’il ne voit plus clair et que rien ne peut le raisonner. Tu sais ce que c’est, Petit Prince, parce que des fois, t’es tellement fâché que tu ne nous entends plus et que tu lances tes toutous partout dans la maison en espérant les briser. Il faut que tu partes réfléchir dans ta chambre avant de revenir, quelques minutes plus tard, avec le regret dans les yeux et la p’tite voix qui shake. «Je suis désolé papa, je me suis calmé». 

Je vous dis ça les enfants parce que je veux que vous sachiez que j’ai déjà parlé avec maman au cas où ça arriverait. On s’est fait la promesse que jamais on ne servirait de vous pour régler (ou empirer) nos chicanes. Que même si on se chicanait tellement fort qu’elle et moi décidions de se séparer, que vous resteriez en dehors de ça. Ça ne veut pas dire que je n’aurais pas de peine, ça ne veut même pas dire que je resterais calme mais ça veut surtout dire que je ferais tout ce que je peux pour que ça ne paraisse pas pour vous.

Mais ça se pourrait que j’aie vraiment beaucoup de peine. Que je me sente seul, que j’aie l’impression que personne ne me comprend. Que je pleure souvent pour rien. Que je me fâche souvent pour rien. Que je me comporte différemment, que je sourie moins, que j’aie l’air perdu. Que j’aille plus souvent à la SAQ, à la SQDC. C’est là que j’aurais besoin de toi, Pinotte. Si jamais je venais qu’à changer, tu dois me rappeler qu’il existe de l’aide. Si j’ai trop de peine à cause de maman, tu dois appeler Grand-Papa et Grand-Maman pour me stooler (on est en 2020, tu as Messenger, tu sais comment faire pour appeler tes amis dans mon dos, tu peux facilement appeler mes parents en secret). Tu dois me rappeler que le 1-866-APPELLE existe. Tu dois me rappeler que ce que je vis va passer et que même si c’est difficile à croire, il existe des ressources. Des ressources pour qu’au lieu de poser un geste qui ne réglera rien, qui ne servira qu’à aggraver la situation et qui sera irréversible, je puisse me calmer, réfléchir et aller mieux. Qu’avant d’essayer de briser mes toutous, des ressources me permettront d’aller réfléchir dans ma chambre avant de revenir, quelques minutes plus tard, avec le regret dans les yeux et la p’tite voix qui shake en disant «Je suis désolé les enfants, je me suis calmé».

Personne ne mérite de vivre ce qui s’est passé hier. Il faut faire tout ce qu’il est possible pour éviter que quelqu’un d’autre prenne la même décision. Il faut que tous les papas du monde se passent le message. 

Les enfants, vous aurez probablement remarqué que depuis hier, je vous ai serré un peu plus souvent, un peu plus longtemps, un peu plus fort que d’habitude. Que j’avais un peu plus de trémolo que d’habitude dans la voix quand je vous ai dit «Je t’aime» avant d’aller vous border. Vous vous êtes demandés pourquoi? La réponse est toute simple. 

Parce qu’un parent, ça peut décider à quelle heure un enfant doit aller se coucher mais que jamais il ne doit décider à quel moment un enfant doit devenir un ange.